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Eiger 1938 ou la naissance du Dry-Tooling enfin révélée !

Après cet épisode trimestriel de météo Britannique du nord, la mi-Mars semble vouloir offrir un anticyclone des plus sérieux. Après avoir gâché la 1ère semaine, je suis remonté pour que la 2ème se déroule un peu mieux. Des potes sont aller faire un tour en Oberland où la face local semble être en condition. Mon Truiton est des plus motivés, on planifie un assaut pour le début de semaine. Malheureusement, le vent est contre nous, il est annoncé pour souffler de secteur nord à plus de 50km/h.

 La poisse...mais bon, ça devrait se calmer en fin de semaine...sauf que le mauvais doit aussi arriver en fin de semaine. On choisi l'option échauffement au cas ou ça voudrait bien jouer. Montée le dimanche soir chez Laurence aux Cosmiques. Notre objectif sera le "Super couloir" du Tacul. Par cette belle météo, les prétendants sont nombreux. Un départ tardif serait synonyme de bombardement et d’embouteillage. Le réveil sonne à 03h00, p'tit déj rapide, digestion sur les skis en glissant sous la pleine lune, la classe. On profite du regel pour monter à pied à l'attaque. On est les premiers, mais déjà les frontales trahissent l'approche rapide de 3 cordées ! Truiteul se colle L1, ses crabes font des étincelles dans la nuit, ça me fait marrer, lui ça le fait râler. La lueur du jour se lève pendant que je cruise L2, à contrario de la 1ére, celle-ci est gavée de neige. Le fameux passage du bouchon est un plaisir. Relais à 65m, puis je suis mon Vincent jusqu'à sous le dernier ressaut.





 Récupération des broches et longueur de 60m pour accéder aux pentes de neige.




 Je repars tranquillement, les conditions sont parfaites. 1 heure plus tard, à court de matos, je relaie 50 mètres sous la Crête de Coq.




 Mon guide de dans 6 mois prend les commandes et m’emmène à la croix du Tacul. Il est 10.30. Les conditions en face Nord sont bonnes, elles nous éviteront le tricotage avec les cordées montant dans Triangle.


Ça, c'est fait. La météo évolue en notre faveur. L'Eiger nous entrouvre sa porte.
Rares sont les faces alpines avec une histoire aussi chargée ! J'aime assez le qualificatifs donné par l'Alpine Club en taxant la face "d'obsession pour les détraqués de l'esprit de presque tous les pays", en fait ce qualificatif sierrait parfaitement à toute les montagnes du monde!!!

Flashback éclair :



En 1935, les Munichois Sedlmayer et Merhinger ouvrent le livre de ce qui est pour moi le plus gros mythe de l'alpinisme européen. Ne doutant de rien, ou presque, ils pensent à une ligne directe; vue du bas, la paroi semble être une succession de ressauts courts et relativement aisés. Les grimpeurs passent  plus d’une journée pour atteindre le premier névé, la paroi s’avérant bien plus difficile que prévu,  surtout bien plus englacée que prévu. Après avoir bivouaqué au somment du 3eme névé, ils attaquent directement, négligeant la rampe, du moins c’est ce  qui est supposé, les pitons retrouvés plusieurs années plus tard le laissant penser. 
Dès le 3eme névé plus de traces, plus d’activité, plus rien. Quinze jours après, un avion survolant la paroi repère un corps au somment du 3eme névé;  c’est celui de Sedlmaier ! De son compagnon, aucune trace. Ce bivouac du 3eme névé va prendre le tristement célèbre nom de "Bivouac de la Mort"

En 1936, le gouvernement du canton émet  une interdiction de gravir de courte durée. Considéré sous l'angle de la prévention du risque, L'Eiger des alpinistes, c'est un peu le Brévent des Bases Jumper. Pour mémoire, les sauts du Brévent ont été aussi interdit pour une courte durée il y a quelques étés. Ce parallèle de la gestion des "choses"  visibles par le grand public, le Brévent se voit de Cham' comme l'Eiger de la Kleine Scheiddeg", est consternante. Interdire pour rassurer la masse braillante et inculte... 

Retour en 1936, les bavarois Toni Kurtz et Andreas Hinterstoisser font équipe avec Willy Angeler et Eduard Rainer, deux Autrichiens. Ils vont trouver l’accès idéal à la face nord. Attaquant à droite, passant à proximité du "Trou du voleur", le sollenloch. Ce trou, situé dans le premier tiers inférieur, est  un regard d’exploitation ayant servi à l’évacuation des gravats lors du creusement du tunnel pour installer la voie ferrée. Hinterstoisser va par une géniale traversée à gauche trouver le chemin menant  au premier névé. Cette traversée portera définitivement son nom. Aujourd’hui une corde fixe est posée à demeure ; elle facilite grandement la traversée, et surtout offre une  possibilité de retraite si besoin :car il est quasi impossible de faire la traversée dans l’autre sens.
Les quatre grimpeurs sont confiants! Excellents rochassiers ils ne laissent aucun équipement derrière eux, sans doute auraient-il pu poser et laisser  une corde fixe au cas où. Hélas, ils n’en  feront rien. Comme leurs prédécesseurs, ils n’ont pas pris la mesure de la face, de sa nature : une course de glace, et dans les névés ils sont très lents, faute d’équipement. Au bivouac de la mort le temps se gâte;  une solution, une seule : redescendre. Il leurs faudra un jour et demi de rappels en rappels pour rejoindre la fameuse traversée. Sans corde en place elle se révèle infranchissable dans l’autre sens, la paroi est maintenant verglacée ! Ils sont coincés! Un employé du chemin de fer s’inquiète de leur sort. Par le trou des voleurs il communique avec eux. Ces derniers décident alors de descendre en rappel directement sous le 1er névé. Plus bas, les guides de Grindenwald ne sont pas du tout chauds pour organiser des secours, pourtant en fin de journée ils se mettent en route. En route pour essayer de sauver Toni Kurtz car les trois autres sont morts, victimes d’une chute de pierre. Le lendemain matin, contre toute attente Kurtz est toujours en vie; dans le mauvais temps, guidé et encouragé du trou des voleurs par les sauveteurs, il organise son auto-sauvetage. Les cordes ont été sectionnées par les chutes de pierres, il doit les rabouter pour continuer à descendre. Bientôt il est à portée des sauveteurs mais son mousqueton de rappel se coince dans le noeud de  rabout de la  corde ! Epuisé, à bout de forces, il n’a plus l’énergie pour faire sauter le noeud et meurt à quelques mètres seulement des sauveteurs impuissants. 
L’année suivante est plutôt tranquille  en début d’été du côté de la face. Il y a bien quelques timides tentatives mais pas de victimes. Puis, en août, Rebitsch, un Autrichien et Vörg,  un Allemand,  s’engagent dans la paroi. Après seulement quatre cent mètres d’escalade ils trouvent le cadavre de Hinterstoisser, le redescendent puis repartent. Clairvoyants,  ils équipent sa traversée d’une corde fixe, elle leur sauvera sans doute la vie. Au bivouac de la mort, après une difficile ascension des névés, ils buttent sur de grandes difficultés, et le mauvais temps s’installe. Une journée de rappels les amène à la traversée; une formalité grâce à la corde fixe. Ils sont les premiers à revenir vivants d’une tentative très poussée et désormais ils savent. Ils savent que c’est une course de glace mais vont le taire, surtout ne pas dévoiler le secret, la compétition est acharnée. Rebitsch lui, avant de partir subitement pour une expédition en Himalaya, a prévu de s’associer avec Heckmair et lui fait un compte rendu détaillé de sa tentative.
Heckmair est un grand alpiniste, très complet avec une solide liste de courses. Il égalerait le maestro Gervasutti. Chose rare, son club, le sponsorise pour l’Eiger : des pitons, des cordes, et surtout des crampons 12 pointes.

Pour les montagnards, la suite est bien connue. Deux Autrichiens, Kasparek et Harrer s’engagent dans la face. Le lendemain 21 juillet 1938  Heckmair et Vörg partent à leur tour. Ils rattrapent rapidement la cordée Autrichienne qui est très lente, faute d’avoir l’équipement adéquat. Grâce aux crampons Grivel équipés de pointes avant, alors que les Autrichiens n’en disposent que d’une seule paire classique et perdent un temps fou à tailler des marches…. qui profitent aux Allemands, la jonction est très vite  faite. Les deux cordées font cause commune, au grand dam de Heckmair, mais Vörg insiste et emporte la décision. Les deux Autrichiens vont servir de mulets, à eux les sacs, l’équipement et tout ce qu’il faut porter, et le dépitonnage ; aux Allemands la gloire d’ouvrir la voie.  Le soir, au bivouac de la mort, le mauvais temps arrive ! Le lendemain l’ensemble de la paroi est verglacée, Heckmair sur ses crampons Grivel se révèle tel qu’il est, un grand  alpiniste. Sur les pointes avant de ses crampons, il invente le mixte moderne.
Ces entrefaits historiques m'ammène à une conclusion implacable : Heckmair, c'est un peu le créateur du dry, non ? 
Sûr que gaulé comme ça, Anderl, il les aurait fait péter les D14 !

Papy DTS remonte "la Rampe" traverse à droite, sans Yaniro, il enchaîne sur une grande traversée horizontale à droite, qui elle aussi va devenir la mythique "Traversée des Dieux" menant à la fameuse "Araignée".  Les Allemands « courent » dans la paroi, alors que pour la seconde cordée tout va mal. Les Allemands lui envoient une corde après qu’une avalanche ait balayé la face, emmenant tous les points d’assurances. La journée s’étire alors qu’ils sont dans les fissures de sortie; un troisième bivouac s’impose. Le lendemain le temps est exécrable, les rochers sommitaux sont  plâtrés de neige fraîche et c’est une lutte pour la vie qui s’engage pour les quatre hommes. Le 24 juillet ils atteignent le sommet à 15.30 et filent directement dans la vallée.
Bref, quand tu sais tous ça, tu fais pas vraiment le malin au guichet de la gare de Grindelwald. Un coup de turbo-train te pose à la petite Scheidegg, débarquement au milieu des milliards de skieurs pour qui "Voie de 38" ne doit pas évoquer grand chose. Une petite marche pour rejoindre la station de "Eigerglacier", la difficulté consistant à trouver un emplacement pour poser la tente dans un endroit qui ne gênera pas les glisseurs. Le toit plat d'un petit château d'eau sera parfait ! Diner copieux et coucher rapide, la journée du lendemain sera longue. En bon feignant, on a choisi l'option light soit un sac pour 2 avec dedans 2 litres, 2 barres, 2 doudounes et 2 paires de gants. Réveil à minuit, le dernier repas à peine digéré, le p'tit déj à du mal à trouver sa place. Approche rapide dans une énorme trace qui se poursuivra dans la face. Dés  les premiers ressauts,  le rocher se déclare réfractaire au dry....ça va bien se passer pour moi !  Le cheminement est hallucinant : monté, traversé, descente, marche, grimpe, neige, glace et rocher, tout y passe. Jusqu'au pied de la RougeFlue, ça roule. Un petit coup de cul dans la "fissure difficile" me fait monter en pression mais dans le caillou plus de 75 ans de passage ont laissé quelques pitons... Grace aux cordes fixes, la traversée Hintertruc est avalé en 2 minutes mais si un jour elles venaient à disparaître, la donne changerait de façon exponentielle!
Chapeau trés bas M. Hinter. La suite déroule même si on reste bien appliqué à poser correctement les pieds. Un petit emmelage de nouille avec une autre cordée, une lentille qui saute et une panne de frontale occupe bien le futur marié. Un ressaut en neige dur un peu plus raide nous amène à la traversée interminable du 3ème névé. Le jour s'installe au bivouac de la Mort. Pas surexcité par tout ce qui s'est passe là, je taille ma route sans profiter de la vire aménagée par les bivouaqueurs. Dans la rampe, ça bouchonne sérieux mais tout se passe bien. Cette partie est plutot séche, ce passage se révèle étre la partie la plus cool de la voie. Dés la sortie une longueur mixte laisse apercevoir la Traversée des Dieux, celle-ci est défendu par une fissure bonne pourrie, le relais à son pied est tellement nase que je préfère augmenter le tirage plutot que de voir mon assureur pendu sur les daubes qui constituent le relais ! Je me colle derriére le second de la cordée de devant histoire de tirer sur des prises testées ! Relais sur un bloc, et je recolle le second pour cette traversée d'une centaine de mètres. Relais sur broches à l'abri car l'araignée et ses passages en goulottes générent un réservoire de projectiles sans fin. Tête baissée, je remonte au plus cette partie exposée. Une goulotte un peu raide et là, une magnifique erreur collective des cordées de tête nous fait gagner 3 places dans le tiercé de la journée. Désormais serein, les cheminées de sortie paraissent accueillantes. 3 longueurs de rocher et nous voilà au soleil ! Encore 100 m de pente grise puis la mauvaise surprise ce sont les 30m d’éboulis verticaux pour rejoindre l'épaule final. L’arête finale est bien fine et la vue sur le pied de la face n'est pas franchement rassurante. Finalement, la trace est vraiment bonne et ce dernier passage déroule vite. Petite pause au sommet vers 16 heures. Le milieu d'aprém est idéal pour emprunter la pente de neige de descente surtout avec des crampons sans anti-bottes !!! On se replie sur la voie normale quasiment sèche. Vers 19h, on arrive à la tente, je me rue sur les rillettes. C'est bon ça !!!! Dodo vite fait car demain c'est du sérieux, je dois être aux Gaillands à 14h pour faire grimper mon gamin !


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